Mais derrière cette “baisse de libido générationnelle”, il y a des causes multiples, complexes, souvent invisibles. Ce n’est pas seulement qu’on n’a “plus envie”. C’est qu’on vit dans un monde qui rend le désir plus difficile à faire exister.

Les chiffres qui parlent

Des enquêtes récentes menées en France, au Royaume-Uni, au Japon ou aux États-Unis vont toutes dans la même direction. En 2023, un sondage Ifop révélait que 28 % des Français de 18 à 30 ans n’avaient pas eu de rapport sexuel au cours de l’année écoulée — un chiffre en hausse constante depuis les années 2010. Aux États-Unis, une étude publiée dans JAMA Network Open indique qu’un jeune homme sur trois entre 18 et 24 ans n’a pas eu de rapport depuis un an. Du jamais vu.

Et on ne parle pas ici de célibataires endurcis ou de milieux religieux conservateurs : c’est une tendance globale, qui touche toutes les classes sociales, tous les genres, tous les types d’orientation sexuelle.

Une génération sous pression

Premier facteur évident : la charge mentale. Les jeunes d’aujourd’hui doivent jongler avec des études de plus en plus longues, une entrée dans la vie pro compliquée, une précarité croissante, des loyers intenables, une crise climatique anxiogène, et parfois des traumas générationnels liés à la pandémie.

Quand on vit en mode “survie” ou qu’on est en permanence en train de “gérer”, la libido est souvent la première à disparaître. Le stress chronique, l’anxiété, les troubles du sommeil, l’épuisement psychologique… tout ça agit comme un anesthésiant du désir.

L’effet paradoxal de la techno : connectés mais isolés

Les applis de rencontre, les DM, les sextos… on pourrait penser que la technologie a facilité l’accès au sexe. En réalité, elle a aussi profondément transformé la manière dont on se rencontre — et pas toujours pour le meilleur.

Beaucoup de jeunes décrivent une “fatigue du dating” : discussions sans fin, ghosting permanent, hyperchoix paralysant, peur de l’engagement ou de l’attachement. Tinder, Bumble ou Grindr sont parfois perçues comme des supermarchés du désir, où tout devient échangeable, remplaçable. Résultat : moins de spontanéité, plus de désillusion, et souvent… moins de sexe réel.

Le poids du regard et de la performance

À ça s’ajoute une pression nouvelle : celle de la “performance sexuelle parfaite”. Corps normés, pratiques “tendances”, injonctions à être toujours prêts, ouverts, hyper expérimentés, multi-orgasmiques… Le sexe devient un domaine où il faudrait “réussir”. Mais cette pression bloque plus qu’elle ne stimule. Beaucoup de jeunes, notamment les hommes, avouent craindre le jugement, la comparaison, ou l’échec.

Les jeunes femmes, de leur côté, sont de plus en plus nombreuses à assumer un refus du sexe “par défaut” : elles ne veulent plus faire l’amour sans désir réel, juste pour “faire plaisir” ou “tenir le couple”.

Réalité virtuelle vs contact réel

Il faut aussi parler du rôle des substituts numériques : le porno, les jeux vidéo, les communautés virtuelles ou les espaces en ligne type OnlyFans. Ces univers, accessibles 24h/24, peuvent devenir des refuges rassurants, où il n’y a ni rejet ni contrainte. Pour certains, ils remplacent partiellement (ou totalement) les relations physiques. Ce n’est pas forcément pathologique, mais ça pose question : que devient le corps, l’altérité, le toucher, dans un monde ultra-numérisé ?

Une sexualité qui se repense

Mais attention : moins de rapports sexuels ne veut pas dire moins d’intérêt pour la sexualité. Au contraire. La jeunesse d’aujourd’hui parle plus que jamais de genre, de consentement, de zones de plaisir, de santé mentale, de plaisir féminin, de diversité des désirs. Il y a une vraie envie de sexualité libre, choisie, assumée… mais plus “mécanique” ni normative.

De plus en plus de jeunes choisissent aussi l’asexualité, la “slow love”, ou encore les relations non sexuelles (mais hyper affectives). La norme du “sexe obligatoire” pour être heureux ou adulte est remise en question.

Une crise du désir ou une révolution du rapport à l’intime ?

Alors, est-ce qu’on assiste à une “crise du sexe” ? Pas forcément. Ce serait peut-être plus juste de dire qu’on est dans une phase de transition. Le modèle du sexe “à tout prix”, “le plus souvent possible”, n’a plus vraiment la cote. Et ce n’est pas un drame.

Ce que les jeunes semblent chercher aujourd’hui, c’est une intimité plus sincère, moins performative, plus fluide. Du désir, oui, mais pas à n’importe quel prix. Et surtout, pas sous la pression.

Ce n’est pas que les jeunes n’ont plus de libido. C’est que leur rapport au sexe change. Il est moins dicté par la norme, plus traversé par les émotions, les peurs, les réflexions. C’est peut-être moins fréquent… mais c’est souvent plus profond.

Et si on arrêtait de mesurer la “santé sexuelle” d’une génération uniquement au nombre de rapports ? Peut-être qu’on ferait mieux de s’intéresser à la qualité, au respect, à la liberté des choix. Parce qu’après tout, faire moins l’amour… ce n’est pas forcément faire moins bien.