Bienvenue dans le monde bien huilé, et de plus en plus inaudible, de la communication institutionnelle.

Le constat est simple, plus personne n’y croit. Les citoyens lèvent les yeux au ciel, les internautes scrollent sans même finir la première ligne, et les jeunes générations zappent en une seconde les vidéos trop “corporate”. Non pas parce qu’ils rejettent les institutions, mais parce qu’ils ne comprennent plus ce qu’elles essaient de leur dire.

Le règne du jargon

La communication institutionnelle s’est longtemps drapée dans un langage technocratique censé incarner le sérieux et la rigueur. Pendant des décennies, ce ton formel a rassuré, il inspirait confiance, montrait qu’on maîtrisait son sujet. Mais à l’ère du numérique, ce vernis de respectabilité sonne creux.

Ce langage bureaucratique, souvent truffé d’abstractions et de tournures passives, finit par effacer le locuteur. On ne sait plus qui parle, ni à qui. À force de gommer toute émotion, toute subjectivité, la parole institutionnelle s’est déshumanisée. Le message devient un bruit de fond, une musique administrative qui se répète de communiqué en communiqué. Comme le résume une étude sur le discours technocratique, ce type de langage “crée une distance entre le pouvoir et le citoyen, au lieu de la combler”.

Et c’est bien là le problème, on ne parle plus aux gens, on parle de gens.

Trop de mots, pas assez de sens

Les grandes institutions aiment les concepts. “La transition”, “l’innovation”, “l’attractivité”, “le vivre-ensemble”, des mots beaux sur le papier, mais qui peinent à dire quelque chose de concret. On parle de “feuille de route stratégique”, de “démarche structurante”, de “synergies territoriales”, sans jamais descendre au niveau du réel.

Ce langage est devenu une langue d’apparat. Il décore la communication comme un costume trop serré, mais empêche tout mouvement. Et comme dans un dîner trop guindé, le public finit par s’ennuyer. Les citoyens, eux, ne demandent pas qu’on leur “réaffirme une vision partagée”, ils veulent simplement savoir ce qui change, ici et maintenant.

Dans une société saturée de messages, la transparence n’est plus un luxe, c’est une nécessité. Une parole qui se contente d’être “belle” ne convainc plus personne.

Le décalage avec le monde réel

Pendant que certaines institutions perfectionnent leurs powerpoints et leurs slogans, le monde, lui, avance. Les citoyens vivent connectés, partagent leurs opinions, leurs colères, leurs espoirs. Ils communiquent en vidéos de quinze secondes, en threads, en stories. Ils parlent sans filtre, avec spontanéité, émotion et humour.

Face à ça, le ton compassé des discours officiels semble venir d’une autre époque. Comment une administration qui publie un communiqué d’une page pour dire qu’elle “réaffirme son engagement en faveur du dialogue citoyen” peut-elle espérer rivaliser avec un jeune qui filme une injustice en direct sur TikTok ?

Ce n’est pas seulement une question de style, mais de rythme. La société parle vite, réagit fort, et attend des réponses claires. L’institution, elle, prend son temps, pèse ses mots, cherche la validation. Résultat, le message arrive souvent trop tard, ou trop polissé pour être crédible.

Le citoyen n’a plus besoin de porte-parole

Autrefois, la communication institutionnelle servait à “faire le lien” entre les dirigeants et le public. C’était elle qui portait la parole “officielle”, celle qui traduisait les décisions et racontait l’action publique. Mais cette époque est révolue.

Avec la révolution numérique, le citoyen n’a plus besoin qu’on parle pour lui. Il a pris la parole. Il documente, il commente, il interpelle, il crée. Il est devenu, lui aussi, un média. Les réseaux sociaux, les plateformes participatives et les outils numériques ont redistribué les cartes, la communication n’est plus verticale, elle est horizontale.

Le problème, c’est que beaucoup d’institutions n’ont pas encore intégré ce changement de paradigme. Elles continuent de diffuser des messages descendants dans un monde où la parole circule dans tous les sens. Elles parlent comme avant, à des publics qui, eux, ont cessé d’écouter.

Trop de communication, tue la communication

Autre paradoxe, jamais les institutions n’ont autant communiqué, et jamais elles n’ont été aussi inaudibles. Campagnes, newsletters, vidéos, podcasts, plaquettes, posts sponsorisés, l’espace public déborde de messages. Tout le monde communique, tout le temps, sur tout.

Mais cette abondance crée l’effet inverse de celui recherché. L’audience sature, l’attention s’effrite, et le scepticisme grandit. À force de formats lisses, d’éléments de langage et de storytelling calibré, la communication institutionnelle perd sa substance. Elle devient prévisible, donc invisible.

Les citoyens développent même une compétence nouvelle, le radar anti-bullshit. Ils repèrent à la première phrase un discours vide, et passent à autre chose.

L’heure de la sincérité

Pourtant, tout n’est pas perdu. Certaines institutions ont compris qu’il fallait casser les codes, et que la sincérité pouvait être une stratégie. Cela ne veut pas dire tout dire, ni tomber dans la démagogie. Cela signifie parler clair, assumer les imperfections, montrer les coulisses, et surtout, remettre l’humain au centre.

Les institutions qui osent l’authenticité se reconnectent au public. Certaines mairies utilisent l’humour pour expliquer leurs décisions, des hôpitaux racontent les réalités du terrain, des collectivités laissent la parole à leurs agents. Ces initiatives fonctionnent parce qu’elles rétablissent une chose essentielle, la confiance.

Pendant des années, la communication institutionnelle a cherché à tout maîtriser. Aujourd’hui, ce qui fonctionne, c’est l’inverse. Ce n’est plus la perfection qui inspire, c’est la franchise.

Parler vrai, c’est déjà casser les codes

Casser les codes, ce n’est pas se déguiser en start-up, ni singer les influenceurs. C’est retrouver le courage du langage simple, celui qui dit les choses comme elles sont. Dire ce qu’on fait, faire ce qu’on dit, et parler comme on parle.

La langue technocratique rassure ceux qui la pratiquent, mais elle endort ceux qui l’écoutent. La langue humaine, elle, réveille, rassemble et donne envie d’y croire.

Oui, les gens en ont marre de la communication institutionnelle. Mais ils ne rejettent pas la parole publique, ils rejettent la façade. Et s’il fallait une seule leçon à retenir, ce serait celle-ci, la sincérité n’est pas un risque, c’est désormais la seule voie possible.