On l’attendait comme on guette un vieux numéro de cabaret, avec un sourire en coin, une moue sceptique et un regard moqueur. Olé Osé, le dernier-né discographique de Patrick Sébastien, semblait promis aux arrière-salles enfumées, aux banquets trop longs, aux fins de soirée où l’on chante plus fort qu’on ne pense et où l’on tape du pied passé minuit sur la table.
Avec son visuel provocateur (un fruit dessiné pour évoquer des fesses) et ses couleurs vives, elle revendique une approche épicurienne. "Olé Osé" affirme une célébration de la transgression, où le langage et les formes se libèrent des contraintes morales habituelles.
Le rire se suspend, l’oreille se tend, et derrière le grivois surgit, presque à notre insu, une forme de poésie. Oui, de la poésie.
Le rabelaisien en chant mineur
Patrick Sébastien ne cite pas Rimbaud, il trinque avec lui. Il ne cherche ni l’élégie ni l’élan lyrique, mais il touche juste, au cœur. Ses chansons ont l’odeur du zinc, le goût du réel, la chaleur moite des corps et des cœurs à nu. Elles parlent bas, mais elles parlent vrai. Sexe, fantasmes, verres levés et corps cabossés : tout y passe, mais sans cynisme, et surtout sans mépris. Le paillard ici n’est jamais vulgaire ou alors, volontairement, comme un pied de nez à ceux qui confondent finesse et froideur. Le majeur haut levé au politiquement correct.
« Et les bien-pensants qui nous fliquent, on leur met un doigt
Les cons, les antipathiques, on leur met deux doigts
Les faux-culs de la politique, on leur met trois doigts
Et tous ceux qui nous critiqueront, on leur met le bras
Et on chante, chante, chante, chante en levant nos verres »
Ici le poétiquo-beaufo exprime une révolte joyeuse contre l'autorité, l'hypocrisie et les normes sociales. Par la proposition d’insertion de divers doigts et la fête, il affirme une liberté crue : refuser d'obéir, et célébrer la vie malgré tout. C'est une philosophie du refus et de la joie collective.
Une langue qui claque, un verbe qui roule
"La Quéquette à Raoul" Aux creux de ces mots tapageurs, une musicalité inattendue se glisse. Allitérations gloussantes, rimes de comptoir qui font mouche, tournures populaires à la précision d’un menuisier amoureux de son bois. Sébastien ne cisèle pas, il sculpte à la volée. Il n’écrit pas pour, il écrit avec. Avec la rue, les rires, les corps qui dansent et les voix qui chantent faux mais très juste.
« Petit spermatozoïde où vas-tu ? où vas-tu ?
Petit spermatozoïde où vas-tu comme ça ?
Je vais dans le sopalin ou dans le gant de toilette Ça fera un con de moins qui peuplera la planète. »
L’humour pour évoquer l’absurdité de l'existence et la contingence de la naissance. Une désillusion sur la reproduction et un pessimisme sur l'humanité, comme si ne pas naître était préférable au chaos du monde. C’est une vision lucide et cynique de la vie, proche du nihilisme.
Le "beauf", cet incompris
Dans ce que la critique bien-pensante baptise trop vite "beauf", il y a parfois une honnêteté brute, presque désarmante. Olé Osé n’est pas un album qui cherche à séduire les jurys ou les esthètes, il cherche la connivence, l’écho, le sourire. C’est un disque de vérité populaire, dans ce qu’elle a de plus vivant : le mot cru mais juste, la blague lourde mais tendre. Loin des postures, près des gens.
« Y'a des gens qui sont mal foutus, c'est la vie, c'est comme ça
Y'en a qui ont les poils du cul qui remontent jusque sous les bras
Y'a des filles qui ont des nibards qui leur tombent sur les genoux
Elles peuvent s'en faire des foulards en les nouant autour du cou »
L’humour comme acceptation brutale de l'imperfection humaine. Il ridiculise les normes de beauté en montrant que le corps échappe toujours aux idéaux, et invite à une forme de lucidité sans mépris, la vie est imparfaite, et il faut l’accepter telle quelle.
Rire, encore et toujours
Et si c’était cela, la leçon inattendue de Patrick Sébastien ? Que dans les refrains qui font rire et danser, dans les mots qu’on croyait usés, il demeure un reste de chaleur, de vie, et de tendresse. La paillardise, dit beaucoup de ce qu’on n’ose plus formuler : le désir, l’ennui, la solitude, le besoin d’amour. Olé Osé n’est pas seulement un disque à boire, c’est un disque à écouter avec les mains sur le ventre et le cœur un peu ouvert.
C'est une invitation à embrasser l’absurde, à se moquer de la bienséance, et à réaffirmer la vitalité contre la gravité du monde. Olé Osé !